mercredi 3 décembre 2014

Thème "Misère"

 
Classement par ordre alphabétique d'Auteurs

Auteur : Paul Allegraud



C'était exactement ce que je détestais, dans ce boulot. Quand on arrivait trop tard. Et tous les ans, à cette époque, on en avait une dizaine, comme elle, qu'on ne verrait plus couchés dans l'abri précaire d'un porche, refusant celui, tout aussi éphémère, mais beaucoup plus sûr, d'un de nos centres d'accueil. Encore une fois, l'hiver s'était allié à sa cousine maléfique, la misère, pour ôter la vie d'un de ces « tombés du monde ». Aujourd'hui, c'était Marguerite.

Marguerite, ce n'était pas son vrai nom. On l'appelait comme ça, parce qu'à la belle saison, elle ramassait ces fleurs sauvages, sur les bords des talus, qu'elle plantait dans ses cheveux. Un peu de coquetterie dans son monde moche. Quand on l'avait vu débarquer sur les trottoirs de la ville, il y a cinq ou six ans, elle traînait dans son sac quelques vêtements de prix, vestiges d'un passé flamboyant. On dit qu'elle avait gagné et perdu des fortunes, hantant les casinos de Deauville ou de Monaco, au bras de bellâtres fortunés et méprisants, ces puissants au cœur vide qui l'avaient rejetée pour des plus jeunes qu'elle, quand le poids des années et l'abus de champagne avaient alourdi ses traits. Ses robes de soirées étaient devenues haillons, et les carrosses rutilants, « made in Italy », n'avaient même pas eu la décence de se faire citrouille. Ils l'avaient déposée là, sur le bord de la vie, avec du mauvais vin pour noyer son chagrin.

Bientôt, le médecin viendra, constater son décès, et avant que des hommes, insensibles au malheur, n'empotent son corps vers une fosse trop commune, je la regarde encore. Au moins est-elle partie sans douleur, elle paraît détendue. Elle sert dans sa main un dernier souvenir, la boule noire des joueurs de billard, la boule numéro huit, la boule de la chance.





Auteur : Didier Brochon


Combien de passants sont-ils allés et venus devant cette masure, d’évidence à l’abandon, sans se poser la moindre question ? Mille ? Dix-mille ? Cent-mille ? Plus ?


Il est vrai qu’elle a tout du taudis insalubre et vide, cette maison à moitié effondrée, fissurée de partout, un gros arbre s’étant couché par la tempête sur la toiture et l’ayant fait plier, dans un enchevêtrement de gravas, de racines, de terre, de pierres et de planches. Il n’y a jamais eu de clôture à cette ruine, située en outre dans un vrai courant d’air permanent.


Personne, jusqu’à ce jour où quelqu’un eut l’idée d’y suivre son chien, détaché de sa laisse, et qui désirait se soulager. Petite à l’origine, la masure ne comptait que deux petites pièces, un vague coin qui aurait pu servir de cuisine car il y avait une vieille cuisinière déglinguée, et un coin toilettes, si l’on peut dire,  totalement dévasté et cassé, le sol jonché de morceaux de porcelaine. 


Quelle ne fut pas la stupeur de cet homme, ayant lâché son chien, de découvrir aussitôt, comme recroquevillé, dans une couverture qui ne suffisait pas à le protéger du froid,pieds nus à l’air,  adossé par ailleurs à un pan de mur abîmé mais qui l’abritait du vent, reposant non pas à-même le sol mais sur un amoncellement de couches de tissus et de matériaux divers superposés, un malheureux, les mains crispées près du visage, le teint livide, le souffle imperceptible, un objet en forme de boule à la main, serré comme un trésor !


Le propriétaire du chien pensa que l’homme était mort, car rien ne semblait bouger, et même le chien qui jappait n’y changeait rien. L’inconnu était tellement cadavérique, l’endroit était tellement sordide, que le promeneur le crut réellement mort depuis longtemps. Mais il eut tout de même l’instinct d’appeler, tout en poussant légèrement le corps, du bout des doigts.


        Hééé ! Hô ! Monsieur !!!


Il sursauta et fit un bond en arrière ! L’homme venait d’entrouvrir un œil et, en bougonnant, il  répondit, d’une voix rauque :


        Quoi ! Qu’est-ce qu’y a ? Pouvez- pas m’laisser tranquille, non ? Fichez le camp !


Notre homme décontenancé rattacha la laisse de son chien, puis il sortit des lieux, non sans se promettre de signaler et décrire cette présence à la mairie du village.





Auteur : Charles Daney




La femme pauvre.

Elle est à la rue. Les nattes sur lesquelles elle dort sont bien minces et le pavé bien dur. Sous une couverture qui l’isole plus sûrement des hommes que du temps, la pauvresse se recroqueville. Le froid la saisit, la pluie la frappe mais ce qu’elle supporte le moins, c’est le mépris de ceux qui passent, le regard dur et lointain, la bouche amère, en faisant semblant de l’ignorer. C’est pour cela qu’elle se tasse, qu’elle se cache sous sa couverture trop courte, tel un animal qui craint le froid, la pluie et les hommes. Ses pieds nus dépassent sous les franges de la couverture mais elle tient à la main une boule lisse et ronde, son seul trésor. Elle la garde avec elle comme l’enfant pour s’endormir. Cette boule est le seul objet où elle puisse encore sentir, dans l’infini de sa détresse, ce léger regain d’espérance qui permet de dormir en paix.







Auteure : Émeraude Dumont-Couturier (gagnante de ce thème)





Une jeune fille

S'est endormie

Sur le trottoir



Abandonnée

La rue

Est sa maison

Et le ciel

Est son toit



Pelotonnée

Sous une couverture

Masquant

Ses haillons

Et sa peur

        

Le brouillard rôde

Alentour



Elle se nomme « Misère »



Perdue

Sa famille

Ne la cherche plus




Qu'a-t-elle subi

Qu'a-t-elle fui

Pour devenir ainsi

La proie

Du froid

Et de la solitude ?



Elle dort

Sans rêver

Enfouie dans le néant



Et pourtant

Son visage

Baigné de lumière

Possède encore
La douceur de l'enfance… 

Auteure : Barbara Hocquette



Miséricorde a-t-on l'habitude d'entendre dire. Et c'est bien vrai car quand on se retrouve dans cette situation de déchéance extrême où plus rien ne peut venir sauvegarder notre dignité et bien on réalise à quel point cette corde est bien là, attachée à nos pieds.

 Elle ne semble pas visible à tout le monde car beaucoup d'entre nous pensent que si certaines personnes en arrivent à ce stade ultime, c'est sûrement qu'elles en sont en partie responsables! 

Alors c'est vrai que parfois des perches se tendent et surtout des mains se lèvent pour venir nous donner ce que parfois on n'a même plus le courage d'aller chercher : de la nourriture, des vêtements chauds et surtout un sourire... Celui que parfois on ose tout de même encore esquisser quand un chaton malin vient nous caresser les pieds : ceux qui sont ankylosés par le froid si ce n'est pas parfois la gangrène qui commence son avancée jusqu'à ce que finalement, vous ne sentiez même plus le sol dur et sans vie sous vos pieds.

Alors oui, la misère c'est autre chose que d'être là, à se demander ce qu'on va bien pouvoir faire à dîner ce soir à nos enfants et surtout si ce week-end, on sera invité par les Dupont ou les Durand...

Non la misère, ça se vit et surtout ça se voit et quand on sait que certaines personnes n'ont même plus la force de se cacher, ne serait-ce que pour faire leurs besoins primaires, et bien on se dit qu'on est vraiment mal entouré pour laisser sur le bord de notre chemin pas toujours doré, certes, mais tout de même argenté, quelques pauvres gens de ci, de là mourir de faim et de froid... Et surtout ne plus avoir le courage de dire bonjour et au revoir tellement ils craignent quand la nuit tombe de ne plus avoir la force d'ouvrir leurs yeux et de partir dans l' ombre. 

Alors prions pour que tout cela ne soit un jour qu'un mauvais rêve, une histoire qu'on raconterait à nos enfants en leur disant : "mais tu sais ce n'est pas vrai car la misère c'est comme les mangeurs d'enfants, cela n'existe que dans les contes de fées et de chevaliers!" 

Et pourtant, parfois on se laisse surprendre à détourner le regard, quand on voit au loin quelqu'un allongé par terre qui finalement n'aurait peut-être juste besoin que d'un peu de réconfort...

 Misérable ne veut pas dire méchant, cela veut juste dire : "voyez ce qui pourrait vous arriver si un jour vous aussi vous oubliez de rentrer dans le système" ...car pas de travail pas d' argent et sans argent pas de vie décente. 

Alors ne laissons plus les gens croire que cela ne pourrait pas nous arriver car seule la solidarité peut nous préserver de la précarité, quand tous les autres moyens ont déjà été mis en place en nous et autour de nous. 

Que les cœurs s'ouvrent sur un monde en paix et en harmonie pour ceux qui savent que parfois tendre la main, que ce soit en haut ou en bas, peut sauver bien des vies et de l'estime de soi de surcroît . 

Plus personne ne devrait souffrir de malveillance car si la maltraitance est désormais sanctionnée, le fait de ne pas ou plus savoir venir en aide à son prochain devrait être remis au goût du jour de certains manuels scolaires! On ne dit pas de devoir donner sans jamais recevoir mais si au moins chacun donnait ce qu'il peut à celui qui en a tant besoin et bien on ferait sûrement bien des heureux et moins de personnes allongées sur les trottoirs.

 Que ce message ne soit qu'un slogan contre la misère car un jour c'est certain elle sera bannie de nos prières puisque tout le monde aura de quoi se nourrir dignement, en tous cas c'est la promesse que j'essaye de faire tous les jours à mes enfants : garder l'espoir d'un monde juste et vivant pour que chacun y trouve sa place et surtout un rôle à jouer.









Amyah Labrèche-Docq

 Le vieil homme

Il est là, assis sur le banc qui se trouve au fond du parc, celui sous cet arbre centenaire que la bise d’automne a dénudé. Le sol est jonché de feuilles mortes et le brouillard enveloppe le parc de son mystère. Il est encore tôt et le réverbère est allumé, jetant une pâle lumière qui s’efforce tant bien que mal de concurrencer l’anémique soleil qui se réveille tout doucement. Comme à chaque matin depuis maintenant deux ans je le vois, le dos courbé, les yeux fixés sur un passé lointain peut-être et ses mains noueuses posées sur un pantalon élimé qui a vu des jours meilleurs. Il semble ancré dans ma réalité et j’aimerais en savoir plus sur lui. Ce matin, il grelotte comme si sa vieille gabardine ravaudée en maints endroits n’arrivait plus à réchauffer ses vieux os.

Je m’approche tout doucement. J’ai acheté deux chocolats chauds. Je m’assoie tout près de lui, à l’autre bout du banc. Il lève la tête et me regarde. Je lui tends la tasse fumante. Un sourire timide s’installe sur ses lèvres. Il tient la tasse tout contre lui, comme si elle réchauffait son corps frissonnant. Oh ! Comme il est vieux ! C’est la première fois que je le vois de si près, c’est la première fois qu’il lève sa tête et là je vois sa figure émaciée tourmentée de rides sur une peau parcheminée. Il est vieux, très vieux… mais est-ce que sa vieillesse en est une d’âge ou est-ce seulement la marque d’une grande fatigue de vivre ? Est-ce le temps qui l’a marqué ou est-ce le malheur qui l’a ratatiné ?

Mais ses yeux ! Oh ! Ses yeux d’un bleu-gris aussi pâle qu’un ciel d’automne me captivent. Puis, il me dit merci. Sa voix de baryton me fait vibrer à tel point que j’aimerais l’entendre me raconter des histoires. Comme s’il avait entendu ma demande muette, il se met à me parler.

D’une voix vibrante, il me raconte sa vie, ses bonheurs, ses joies et ses pleurs. Il me parle de sa femme chérie qui est morte quelques années auparavant, de son travail qu’il adorait, de sa vie bien remplie jusqu’au jour où – il y a six ans – il rencontra cette femme diabolique. Elle voulait qu’il vienne vivre avec elle, elle voulait son argent mais lui, fin finaud lui dit non et lui tourna le dos. "Vengeance" qu’elle lui hurla ! "Je te détruirai !" Furent les dernières paroles qu’il entendit. Elle alla trouver un ami qui travaillait aux pensions et inventa des histoires remplies de mensonges. Vu qu’il était un homme puissant et qu’il était un de ses amants, il voulu lui plaire et sans attendre, coupa de moitié la pension du vieil homme. Investigation qu’on lui dit, il faut vous investiguer, faire des recherches et prouver vos mauvaises intentions.

Quoiqu’il dise, on ne l’écouta pas. Il est maintenant ruiné, il a tout perdu, logis et souvenirs. Elle a réussi sa vengeance et le vieil homme vit maintenant dans la misère. Quelle honte pour un pays de faire fi de la loi, de laisser mourir de faim ses aînés et de laisser vivre dans une pauvreté abjecte ceux qui ont bâti le pays à la sueur de leur front. Je l’ai pris par la main et l’ai amené chez-moi où il vit maintenant, dans la suite des invités.

Il est là, assis sur le banc qui se trouve au fond du parc, celui sous cet arbre centenaire que la bise d’automne a dénudé. Le sol est jonché de feuilles mortes et le brouillard enveloppe le parc de son mystère. Il est encore tôt et le réverbère est allumé, jetant une pâle lumière qui s’efforce tant bien que mal de concurrencer l’anémique soleil qui se réveille tout doucement. Comme à chaque matin depuis maintenant deux ans je le vois, le dos courbé, les yeux fixés sur un passé lointain peut-être et ses mains noueuses posées sur un pantalon élimé qui a vu des jours meilleurs. Il semble ancré dans ma réalité et j’aimerais en savoir plus sur lui. Ce matin, il grelotte comme si sa vieille gabardine ravaudée en maints endroits n’arrivait plus à réchauffer ses vieux os.

Je m’approche tout doucement. J’ai acheté deux chocolats chauds. Je m’assoie tout près de lui, à l’autre bout du banc. Il lève la tête et me regarde. Je lui tends la tasse fumante. Un sourire timide s’installe sur ses lèvres. Il tient la tasse tout contre lui, comme si elle réchauffait son corps frissonnant. Oh ! Comme il est vieux ! C’est la première fois que je le vois de si près, c’est la première fois qu’il lève sa tête et là je vois sa figure émaciée tourmentée de rides sur une peau parcheminée. Il est vieux, très vieux… mais est-ce que sa vieillesse en est une d’âge ou est-ce seulement la marque d’une grande fatigue de vivre ? Est-ce le temps qui l’a marqué ou est-ce le malheur qui l’a ratatiné ?

Mais ses yeux ! Oh ! Ses yeux d’un bleu-gris aussi pâle qu’un ciel d’automne me captivent. Puis, il me dit merci. Sa voix de baryton me fait vibrer à tel point que j’aimerais l’entendre me raconter des histoires. Comme s’il avait entendu ma demande muette, il se met à me parler.

D’une voix vibrante, il me raconte sa vie, ses bonheurs, ses joies et ses pleurs. Il me parle de sa femme chérie qui est morte quelques années auparavant, de son travail qu’il adorait, de sa vie bien remplie jusqu’au jour où – il y a six ans – il rencontra cette femme diabolique. Elle voulait qu’il vienne vivre avec elle, elle voulait son argent mais lui, fin finaud lui dit non et lui tourna le dos. "Vengeance" qu’elle lui hurla ! "Je te détruirai !" Furent les dernières paroles qu’il entendit. Elle alla trouver un ami qui travaillait aux pensions et inventa des histoires remplies de mensonges. Vu qu’il était un homme puissant et qu’il était un de ses amants, il voulu lui plaire et sans attendre, coupa de moitié la pension du vieil homme. Investigation qu’on lui dit, il faut vous investiguer, faire des recherches et prouver vos mauvaises intentions.

Quoiqu’il dise, on ne l’écouta pas. Il est maintenant ruiné, il a tout perdu, logis et souvenirs. Elle a réussi sa vengeance et le vieil homme vit maintenant dans la misère. Quelle honte pour un pays de faire fi de la loi, de laisser mourir de faim ses aînés et de laisser vivre dans une pauvreté abjecte ceux qui ont bâti le pays à la sueur de leur front. Je l’ai pris par la main et l’ai amené chez-moi où il vit maintenant, dans la suite des invités.
Auteure : Béatrice Riot


Misérable, fauchée et paumée, Colette attend des jours meilleurs

Indigence, mouise et panade lui collent à la peau

Sur son banc de fortune sous le regard indifférent des passants

Elle aurait pu être la Cosette de Victor Hugo à une lettre près

Rêvassant à un Jean Valjean protecteur et à un Marius bienveillant

Elle en marre de sa vie de traîne-savate et de crève-la-faim.




 Auteure : Axelle Yelma


Pauvre femme



La vie ne m’a pas fait de cadeau,

La fatalité m’est tombée dessus

Dès ma venue

Je suis une pauvre femme, portant un fardeau.



Toi là, passant, qui jette un regard dédaigneux

Ç’aurait pu être toi

Toi là, aristocrate au regard ennuyeux

Ç’aurait pu être moi



Je ne sais si c’est une épreuve

Ou une punition de Dieu

J’aurais aimé naître souris ou oiseau radieux

Car eux ne connaissent pas d’épreuve



Toi là, jolie et jeune femme sans sourire

Ç’aurait pu être moi

Toi là dont la vie a tout donné, et qui soupir

Ç’aurait pu être moi



J’aurais aimé être une sorcière

Volant dans un balai

Sans valet

Elle arrive souvent à ses frontières.








1 commentaire:

  1. Bravo à toutes et à tous !
    Merci pour votre participation et à bientôt pour le prochain concours
    je l'espère ! Je vous trouve tous EXCELLENTS !

    Vous avez choisi un thème pas facile du tout. L'émotion est là je vous l'assure. Pour moi vous êtes tous des gagnants.

    Chantal
    Secrétaire Editions Plumes et Talents

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